dimanche 25 novembre 2012

The Young Gods - Play Kurt Weill [1991]


Il y a deux façons de reprendre des morceaux. La première consiste à faire une copie conforme, ou presque, de l'original, sans se prendre la tête et sans prendre de risque. Ça ne sert pas à grand-chose hormis à remplir un disque sans autres frais que les droits d'auteur quand on est en panne d'inspiration ou plein de paresse dans son travail. Clic clac, l'affaire est dans le sac, on verra la prochaine fois pour essayer de faire mieux. Ou pas. Ce ne sont pas les exemples qui manquent mais je n'ai aucune envie d'en parler ici.

L'autre façon, ma préférée évidemment, nécessite un peu plus de boulot puisqu'il s'agit de se réapproprier le morceau en le modifiant, en le recomposant, en le réarrangeant, en lui donnant un nouveau souffle tout en préservant plus ou moins l'esprit originel. Et tout ça demande du talent, du travail et du talent. Et de l'inspiration. Tout ça n'empêche pas parfois de faire un bide, un flop, un ratage, ce qui est en soi plutôt subjectif. Reconnaissez-le, bande d'auditeurs de mauvaise foi que vous êtes, combien de fois avez-vous trouvé une reprise plate, exsangue, atone, ou au contraire prétentieuse, ampoulée, pompière et en avez-vous conclu hâtivement qu'elle était ratée ? Je dis vous parce que moi, quand je trouve une reprise ratée il se trouve que j'ai raison, je le dis en toute bonne foi et avec objectivité, je le pense donc je le sais. C'est pratique.

Partant de ce postulat intéressant et réversible, je vous dirai un peu plus loin ce que je pense de cet album des Young Gods puisque c'est le but ultime de cette chronique blablateuse, ne l'oublions pas. Mais pour en finir provisoirement avec l'Art subtil de la reprise revenons à la dernière catégorie : celle de la réappropriation réussie. Outre les reprises complètement décalées comme ont pu en offrir Quelques Fiers Mongols et Les Touffes Krétiennes proposés ici ces dernières semaines, il y a dans ma galaxie quelques spécialistes du genre. Celui qui me vient instantanément à l'esprit c'est Nick Cave, dont chaque reprise semble avoir été écrite par lui tant elle est imprégnée de sa personnalité. Comme s'il ne pouvait pas se contenter d'être un auteur-compositeur-interprète formidable, non en plus il faut aussi qu'il tutoie la perfection quand il reprend les morceaux des autres. Que reste-t-il alors à Francis Cabrel, le pauvre ?

Dans la famille des Repreneurs de talent, voici donc, roulements de tambours, sous vos applaudissements :  The Young Gods. Déjà nominés dans la catégorie Groupes Industriels Innovants - on se croirait à un congrès du Medef - pour leurs deux premiers albums, The Young Gods en 1987 et L'Eau Rouge en 1989, les 3 suisses qui composent le groupe ajoutent en 1991 un nouvel article à leur catalogue. Ha ha ha.

Si l'idée de réunir le répertoire de Kurt Weill et la musique des Young Gods peut surprendre a priori, l'écoute du résultat devrait convaincre les plus sceptiques. A défaut, n'oubliez pas mon postulat qui prouve sans contestation possible que j'ai raison. Donc ce disque est une réussite. Ça tombe bien, c'est pour ça que j'avais envie d'en parler. Pourtant l'exercice était pour le moins périlleux, du genre casse-gueule au bord du gouffre, le Bifertenstock en chute libre, sans parachute. Mais c'est avec une belle maîtrise que nos trois alpinistes suisses tutoient les sommets et le Pic de Weill, alternant les ambiances cabaret décadentes dignes des années folles berlinoises et les structures bruitistes indus dont ils nous avaient déjà régalé précédemment. Surtout, ces Helvètes Underground prouvent, s'il en était besoin, toute la modernité de la musique de Kurt Weill et la source d'inspiration qu'elle continue d'être pour des artistes, 60 ans après qu'elle ait vu le jour.

Tout au long de ces reprises, tirées des deux opéras les plus connus de Weill / Brecht, Grandeur et Décadence de la ville de Mahagony et l'Opéra de Quat'sous, la voix de Franz Treichler se fait tantôt envoutante, tantôt angoissante, superbement soutenue par des rythmiques qui donnent à l'ensemble une intensité rare. Supplément non négligeable, le fait que Treichler soit germanophone lui permet de rester fidèle aux textes d'origine et de conserver la scansion propre à l'allemand, difficilement dissociable de la musique de Weill. Mais de fidélité, la musique ne conserve qu'un esprit, tant les Young Gods recomposent et se réapproprient les chansons. Car c'est bien là que réside la réussite de ce disque : dans la réappropriation du répertoire de Kurt Weill, sans se laisser inhiber par le respect qu'inspire évidemment ce glorieux ancêtre. Des reprises formidablement réussies, je vous dis. Souvenez-vous de mon postulat.

1. Prologue
2. Salomon Song
3. Mackie Messer
4. Speak Low
5. Alabama Song
6. Seeräuber Jenny
7. Ouverture
8. September Song

Essayez cerumen



jeudi 8 novembre 2012

James Chance & Terminal CIty - The Fix Is In [2010]



Peut-on encore croire en James Chance ? Sur la pochette, avec son visage pâle, un peu bouffi, on croirait voir Johnny Depp maquillé pour un film de Tim Burton. On peut y voir aussi un James Chance résigné, désabusé. The fix is in, l'idée est peut-être là : c'est couru d'avance, dés pipés, paris truqués. Un nouvel album du Sax Maniac et un de plus qui ne rencontrera les oreilles que de quelques aficionados fidèles à ses stimulations tympano-cérébrales. J'exagère, mais à peine, car cet autre James - White mais grand fan de Brown - s'est attaché au cours de sa carrière, un public certain bien que limité en nombre.

De Teenage Jesus and The Jerks à James Chance and The Contortions en passant par James White and The Blacks, ça fait bientôt 35 ans qu'il donne des couleurs au noir et blanc, s'attachant à fusionner compulsivement les musiques noires et blanches, mélangeant avec délectation et une maîtrise évidente jazz, funk ou rock. Même si sa route s'est rapidement éloignée de celle de Lydia Lunch, il est longtemps resté un des symboles de la scène No Wave new-yorkaise, l'un des plus déconcertants aussi.

Car son truc c'est la note stridente, décalée, le rejet de l'harmonie et de la mélodie facile, une musique qui ne se laisse pas apprivoiser sans effort. N'allez pas croire pour autant que depuis si longtemps il torture son saxo en virtuose pour le plaisir de quelques théoriciens intellos. Non, ce qu'il aime avant tout c'est faire bouger le public. A ses débuts il n'hésitait pas à faire le coup de poing avec les spectateurs qui l'écoutaient assis, à les forcer à se lever et à danser sur son funk, alors les théories sur la musique hein...D'autant que les paroles qu'il colle sur ses musiques ont toujours assez d'humour et de décalage pour lui éviter de se prendre trop au sérieux.

Comme une évidence, James Chance a fait évoluer sa musique vers le jazz. Mais on ne se refait pas, lui moins qu'un autre, les dissonances, les stridences du piano, du sax ou de la guitare sont toujours bien présentes. Free Jazz ? Peut-être, si tant est que ce terme ait encore un sens. Et si la plupart des morceaux de cet album reprennent des titres de films noirs - en noir et blanc bien évidemment - sa musique et ses textes ont gardé l'humour au second degré qui les a toujours caractérisés.

Le morceau The Fix Is In trouvera facilement ses amateurs, c'est un régal à écouter. Devilish Angel et son ambiance sombre et froide trouvera un écho chez certains. Ce sera évidemment plus difficile pour d'autres titres aux sonorités typiques des Contortions devenues Terminal City. Ces morceaux-là en feront fuir plus d'un, c'est couru d'avance. The fix is in.

Essayez donc cerumen

01 Down And Dirty     
02 The Street With No Name    
03 Blonde Ice   
04 The Fix Is In    
05 Devilish Angel    
06 Another Pompadour    
07 Chance's Mood    
08 Lotus Blossom    
09 The Set Up
10 Leave My Girl Alone

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